Comme à chaque fois, j’ai acheté -ou plutôt, dans ce cas, on m’a offert- le livre de Djian le jour même de sa sortie et je l’ai laissé tranquillement mûrir quelques mois, me contentant de le poser sur ma table de nuit, je de l’observer régulièrement, de le soupeser, voire même de l’ouvrir au hasard de temps en temps pour en lire une phrase. Jusqu’au moment où j’ai senti le moment venu.
Et alors ? Oh… ? Non.
Les premières phrases : « Je me suis sans doute éraflé la joue. Elle me brûle. Ma mâchoire me fait mal. J’ai renversé un vase en tombant, je me souviens l’avoir entendu exploser sur le sol et je me demande si je ne me suis pas blessée avec un morceau de verre, je ne sais pas. Le soleil brille encore dehors. Il fait bon. »
Le Résumé de l’éditeur : « Décembre est un mois où les hommes se saoulent –tuent, violent, se mettent en couple, reconnaissent des enfants qui ne sont pas les leurs, s’enfuient, gémissent, meurent… ».
« Oh… » raconte trente jours d’une vie sans répit, où les souvenirs, le sexe et la mort se court-circuitent à tout instant.
Mon avis : Et bien, c’est du Djian, du Djian pur jus, avec son mélange de noirceur, d’humour, d’ironie, de cynisme, de désabusement, voire de désespoir. Les lecteurs de ce blog savent à quel point j’apprécie Djian qui est sans nul doute mon auteur favori. J’aime son style, son écriture, hachée voire discontinue comme peut l’être la vie mais en même temps si fluide et d’une logique inéluctable.
Là, le personnage principal est Michèle.
Michèle, la cinquantaine ou presque, fille d’un homme ayant commis l’exploit de tuer soixante-dix enfants dans un club Mickey –générant ainsi une adolescence pour le moins troublée, fille de la femme du même homme soumise elle aussi à une période difficile qu’elle compensera par force botox, mini jupes et amants plus jeunes que sa fille, femme séparée d’un homme qui l’a arraché de sa vie d’enfer et avec qui elle a vécu vingt ans avant de le quitter tout en en restant proche, mère d’un jeune adulte de vingt cinq ans qu’elle ne reconnaît plus, belle-mère d’une bru de cent kilos essentiellement intéressés par l’achat d’un écran plat, grand-mère d’un enfant qui n’est même pas celui de son fils même si ce dernier l’a reconnu, maîtresse d’un amant avec qui elle vit une relation non seulement fade mais rendue compliquée puisque l’homme se trouve être le mari de sa meilleure amie et patronne, collaboratrice et travailleuse acharnée dans une maison de prod.
Jusque là tout va bien et Michèle est dans la pure lignée des personnages de Djian que j’ai toujours appréciés, généralement immatures, égocentriques, irresponsables, désabusés.
Et puis, par un soir de décembre, Michèle se fait violer dans sa maison. Elle tait le viol dans un premier temps même si elle finira par en parler à son mari et à sa meilleure amie. Elle va poursuivre ce viol à travers une relation faite de jeux sexuels quelque peu pervers et violents qu’elle va nouer avec son violeur. Et c’est cela que j’ai eu du mal à comprendre sans même parler d’accepter. Oui bien sûr, le livre va bien au-delà de ce qui pourrait sembler un mauvais scénario de téléfilm et le portrait de cette femme qui se croyait bien installée dans une vie émotionnellement stable et tranquille avant de se voir rattrapée par les démons de son adolescence et embarquée dans un tourbillon de pulsions inenvisageables est remarquable. Mais j’ai éprouvé un profond malaise à l’idée que l’on puisse imaginer que le fantasme d’une femme violé, quelle qu’elle soit, puisse être de revivre ce moment. Alors « Oh … » ! Non.
Infos pratiques : Editions Gallimard – 2012– 236 pages – 18,5 €